Quelques clefs pour comprendre la révolte-jeune de Décembre 2008 en Grèce
La Grèce est probablement pour la première fois depuis la Junte des Colonels 1967-1974 à l’ affiche des médias internationaux, X des politiques et des chercheurs en sciences sociales en tant que société moderne et non plus en tant que société balkanique ou méditerranéenne .
Erigé en exemple éventuellement précurseur à travers la révolte-jeunes de Décembre 2008 la Grèce se désenclave des représentations en termes d’ antiquité et de folklore touristique.
La révolte très violente qui s’est propagée dans toutes les grandes villes du pays du samedi 6 au vendredi 12 décembre 2008 a sur plusieurs plans déclenché des questionnements sociétaux refoulés ou avortes depuis plusieurs décennies. L’ impératif d’un questionnement sociétal ne peut plus être escamoté.
La révolte-jeune s’ est enclenchée après une « bavure » policière grave, un acte sans doute volontaire οù un policier a tiré sur un groupe de jeunes en plein centre d’ Athènes (son auto- justification en termes de légitime défense ne faisant qu’embraser la colère sociale et médiatique durant toute la semaine). Tres vite dans la soirée lycéens, étudiants, gauchistes et anarchistes (une mouvance durablement encrée dans les jeunes populations depuis les années 1980 qui oscille entre identité politique et institution informelle de socialisation) se sont rassemblés, informés grâce au bouche-à-oreille les textos, facebook et indymedia.gr, dans les rues de la capitale et autres grandes villes. Très vite dans la nuit du samedi les premiers signes d’une violence extrême allaient faire leur apparition : plusieurs parties du centre ville sont abandonnées à la foule et des dizaines de magasins détruits puis incendiés, la police (stigmatisée par des violences et meurtres analogues depuis plusieurs années et en tension avec les populations jeunes depuis quelques années) se faisant absente sur le terrain . Il faut ici noter que le système médiatique a complètement sous-estimé la porté de cette affaire et est resté silencieux dans la nuit du samedi tandis que les observateurs avisés étaient déjà en mesure de prédire une vague de protestation sans précédent.
C’est ce qui s’est en effet passé a partir du dimanche après midi et jusqu’ au mercredi. Le gouvernement et les services de police restant inertes et silencieux face à monté en puissance de la protestation. Les grandes villes du pays se sont embrasées . Durant 48 heures et particulièrement dans la nuit du Lundi 8, le centre de plusieurs grandes villes et surtout celui d’Athènes a été totalement «hors loi». Des dizaines d’ immeubles ont été livrés au feu, aux casseurs et au pillage. Durant toute la journée du lundi des centaines de postes de police dans tout le pays ont été pris d’ assaut par des jeunes déchainés (ces attaques ont été menées par des lycéens appartenant à la même tranche d’âge que la victime). Face à cette révolte le gouvernement s’ est retranché dans une posture d’attente en appelant à la cohésion et la responsabilité nationale sans réussir à apaiser les esprits ou à contenir la fureur. Les partis politiques de l’opposition se sont montrés absolument décontenancés par le soulèvement massif d’une foule violente et qui durant plusieurs jours s’est a prit possession de la ville sans jamais exprimer une revendication politique précise. La Grèce se trouvait dans un tourbillon de violence et de contre-violence sans précédant qui excédait non seulement les forces politiques mais le mouvement anarchiste lui-même (malgré sa présence dans les violences) :
Ce qui est totalement nouveau dans ce phénomène de violence urbaine c’ est, outre le déploiement sur tout le territoire, la défiance de l’ autorité policière et le désintérêt pour les effets de l’action , la présence majoritaire de jeunes lycéens provenant non pas de couches populaires ou exclues mais de diverses strates de la classe moyenne grecque : les enfants de l’expansion économique des 35 dernières années , les héritiers de la démocratie consumériste. (Ils n’étaient pas seuls dans leur révolte : les groupes anarchistes, des étudiants de gauche, une importante population de déclassés grecs et immigrés –pris comme bouc émissaire aujourd’hui- s’agrégeaient dans cette foule violente).
Il est manifestement impossible d’analyser de façon systématique les «causes» sociales d’une telle explosion, qui est aussi une explosion de sens et de discours (morcelés et maladroits) de la part des acteurs, en quelques lignes et cela sans le support d’une bibliographie sur la violence, sur la structuration et le quotidien de la classe moyenne et les questions ayant attrait aux problèmes de subjectivation dans la Grèce d’aujourd’hui.
Nous pouvons cependant fournir quelques indices sociologiques pour aborder le phénomène.
1. Cette révolte n’a pas d’aspiration politique, dans aucun sens du terme. Elle se propage par la violence, qui en forme son identité primaire et qui rappelle par plusieurs traits les violences urbaines que connaissent les pays développés lors de bavures-assassinats-conduites cruelles de la part de la police (LA ; France etc). L’unique leitmotiv reconnaissable a été en effet une adversité a la police (en perte de toute identité professionnelle et retranchée dans sa culture historique notoire) et au «système». Nous sommes dans un cas de figure de non-conflit, c'est-à-dire sans aucune possibilité de la part des acteurs de faire l’économie d’une part de leur violence et de s’ engager dans un processus de contrôle ou de construction d’ une identité à travers les événements .
2. Cette révolte se déroule dans une conjonction politique de crise de légitimation du parti au pouvoir (affaires immobilière, corruption généralisée, crise des recettes de l’Etat etc) et sur la difficulté de l’ opposition a s’ ériger en force alternative. La mise à mal de tout fondement moral du système politique est depuis plusieurs années déjà un facteur du blocage social environnant.
3. Le lien social est en réalité de moins en moins serré malgré la progression économique des dernières décennies et l’ intégration du pays à la zone euro. L’individualisme consumériste et son appareil de nouvelles libertés et de nouvelles contraintes est très mal géré par une économie qui reste encore dépendante des structures d état. Un état encore clientéliste dont sa vocation historique a être un état-employeur semble de plus en plus impossible à être assumée.
4. En somme, les expériences vécues des individus de cette classe moyenne très vaste et inégalitaire en son sein, ne correspondent plus à des structures économiques et des institutions sociales qui restent archaïques. Cette tension sociétale devient en cette période crise politique et économique extrêmement tendue dans le sens ou elle crée de l’ambigüité ,de l’insécurité et désubjectivise les individus. La perte de sens, la difficulté à fonder des projets individuels ou trans-individuels, le blocage des mouvements d’ascension sociale , foncièrement et historiquement identifié à la classe moyenne grecque, forment le cadre d’une crise identitaire forte.
5. Cette tension entre expérience hypermoderne du sujet et structures sociales et économiques archaïques prête à des disjonctions au niveau du sujet et de sa biographie. Le cycle de vie se divisant dans les populations moyennes en une jeunesse poussée à 30 ans et axée sur une liberté des mœurs qui n’a rien a envier aux pratiques les plus hypermodernes et en une maturité maritale qui reste à de nombreux égards tributaire de structures traditionnelles. Par exemple la Grèce a un nombre de mariage (mariages très fastes et souvent précédés par des fiançailles) et de divorce très importants ainsi aue des très faibles taux de cohabitation
6. Le tournant maternel dans la gouvernance de la famille, la libéralisation puis démembrement du système scolaire en parallèle avec le passage obligatoire par les études préparatoires (extra-scolaires) pour accéder aux Universités, créé des tensions dans les classes d’ âge des révoltés de 2008. La souffrance à l’intérieur de ces familles qui oscillent entre des systèmes de reproduction pré-modernes (rôles des grands parents, stéréotypes religieux, exploit dans le cadre des occupations professionnelles de la famille, clientélisme politique ) et des pratiques hypermodernes, sont des contraintes à toute prolongation du sujet en acteur. L’infantilisation des conduites parentales, scolaires et sociales envers les «jeunes» est en désaccord avec des stéréotypes culturels du social. La «panique morale» des médias soulevée par les jeunes «emotional kids» et leurs pratiques de subjectivation communautaire (sexualité bisexuelle, modifications corporelles, sacralisation de la dépression nerveuse) l’année dernière, témoigne de cette tension.
7. La société grecque entretient une relation ambigüe à la violence. Il s’agit d’une société pacifiée, axée sur le bien-être consumériste qui toutefois ménage une violence résiduelle dans l’imaginaire social. Les formes d’individuation, de gestion du danger technologique et de vénération de la responsabilité sociale vis-à-vis des personnes, celles qui en appellent à une éthique humanitaire propre à « la société du risque», ne s’instituent pas de manière durable. Les forces politiques de la gauche radicale persistent à voir en la violence des signes d’authenticité, des signes de ce référant stable de l’idéologie romantique et du nationalisme grec. Les cinq dernières années ont vu un accroissement de la «violence politique» et des extrémistes de gauche au sein des institutions universitaires et d’un renforcement des mouvances anarchistes. Cette recrue d’essence de la violence n’ a pas été condamné de manière ferme par les autorité politiques et n’ a pas été réprimée de manière efficace par l’ autorité publique et n’a pas été comprise. Dans le même temps, la police sous le gouvernement de la Nouvelle Démocratie C. Caramanlis, a réprimé le mouvement étudiant et de multiples manifestations des jeunes, à la limite de règles de l’Etat de droit. L’immigration a été, elle aussi, très malmenée par la Police. Outre le repli identitaire de la police dans son autoritarisme historique, le gouvernement et la société grecque ont fonctionné en dehors de toute approche compassionnelle face à la mort de plus de 45 personnes dans les incendies de foret l’été 2007, donnant ainsi un fort indice d’installation d’une culture de la catastrophe, d’une tolérance de la violence.
Une société en crise de modernisation, classe moyenne bloquée, un système politique délégitimé, une culture nationale angoissée par la mondialisation, une démocratie penchée sur une mythologie collective nationale et complaisante face à la violence, une tension forte entre hypermodernité et archaïsme laissant peu de place au sujet, voilà quelques traits de la société grecque qui pourraient fournir des éléments d’analyse de la révolte de Décembre 2008 .
La «frustration relative» d’une classe moyenne fragile et une réduction du lien social qui n’est pas compensée par d’autres outils de socialisation (projet politique, travail associatif etc) peuvent être employés comme des schèmes explicatifs d’une souffrance devenant colère puis force de destruction.
Ils ne seront pourtant pas suffisant s’ ils s’installent comme une « explication sociologique» classique. Les modes d’être, les formes de l’individuation, les schèmes de vie transindividuels, la microsociologie de la famille, les coupures biographiques mais aussi les lacunes de la modernisation sociale, institutionnelle et économique, sont des paramètres dont on ne peut faire l’économie pour saisir les aspects cruels de cette révolte et la détresse dont ils nous font part.
3 σχόλια:
Τα γράφετε εσείς στα Γαλλικά, κ.Καθηγητά μου και αφήνετε τα δημοσιογράφα να τα λένε στα Ελληνικά. Δλδ πώς θα γίνει.
σύντομα το ίδιο στη γλώσσα του Σακεσπήρου
Daskale prospathisa na to diabasw me boitheia leksikou... Exw kapoies apories (endexomenws logw kakhs metafrashs)
Δημοσίευση σχολίου